Le Kokoda track: la "voie sacrée"
Alors qu'avant même d’avoir commencé une seule valise je fouillais la toile pour apprendre des choses sur la Papouasie, je découvrais rapidement ce chemin mythique, cette "voie sacrée" pour les Australiens en terre papoue.
C’est en effet sur ce tracé, à travers la jungle et les montagnes de la chaîne Owen Stanley en Papouasie Nouvelle-Guinée, que s'est joué l'une des scènes qui ont participé au tournant de la guerre du Pacifique, en faveur des Alliés.
Mais plus encore, c'est sur cette piste que de jeunes soldats australiens, mal entraînés, ont fait montre d'un courage exemplaire en bravant les difficultés d’une nature hostile, les pluies torrentielles, les maladies tropicales telle que la malaria, la chaleur moite du jour et les nuits glaciales dans les hauteurs... pour défendre le monde libre.
Rappels des faits, nous sommes en 1942. Depuis 1931, l’Empire du Japon s’est rendu maître d’un immense territoire dans le Pacifique. La Mandchourie chinoise, les Philippines, les Indes orientales néerlandaises, Hong Kong, la Malaisie, Singapour, la Birmanie … tombent tour à tour dans l’escarcelle nippone.
Il menace maintenant directement l’Occident et précisément l'Australie, une parcelle de l’Empire de Sa Majesté, le roi Georges VI (le grand-père de l'actuel souverain britannique, Charles III).
S’ils parviennent à contrôler la ville de Port Moresby, alors ils seront incontestablement en position de menacer directement l’Australie et la voie maritime reliant l'océan pacifique à l'océan indien, empêchant du même coup l'arrivée de renforts alliés.
Il n’y a pas d’autres solution pour les boys australiens, que d’aller directement au contact et d’empêcher la progression des japonais, déjà solidement implantés dans le nord de l’île de Nouvelle Guinée.
L’escouade de quelques centaines d'hommes en treillis et rangers, avec son équipement lourd tellement inadapté à la marche en montagne, s’engouffre avec sang-froid dans la forêt alluviale traçant un chemin vers l’ennemi. Pour près de 600 d’entre-eux, c'est surtout un chemin qui mène à la mort, mais une mort héroïque, au champ d’honneur !
Cette bataille est d'ailleurs la première de l'histoire où l'Australie a dû se battre pour sa propre sécurité.
Nous sommes en 2022, quatre-vingts ans plus tard, et la piste Kokoda, le Kokoda Trail, est maintenant à la fois un musée à ciel ouvert, un lieu de mémoire et un sentier de randonnée sur plus de 60 miles, 96 kms. Il nous emmène jusqu'à une altitude d'un peu plus de 2000 mètres.
Enfin, il faut près de 7 jours (pour un marcheur en bonne condition physique!) si on entreprend de le suivre en intégralité et atteindre le but, le village de Kokoda. Et en poursuivant la marche vers la ville, qui porte le joli nom de Popondetta, on parvient enfin à l'autre rive, dans la partie septentrionale de l’île de Nouvelle-Guinée.
Aujourd’hui nous avons décidé de faire la première étape du trail, aller et retour. Sarah et Jean-Pierre sont de l’aventure. Depuis Port Moresby, il faut un peu plus d’une heure en voiture pour parvenir à Owers Corner, le départ (ou l'arrivée) du chemin, et découvrir son portique emblématique qui marque le début du périple. Il semble que nous soyons les seuls marcheurs ce matin.
En revanche, nous sommes attendus de pied ferme par deux rangers dont l’un va nous accompagner. Nos deux chauffeurs aussi souhaitent se joindre à nous. Le portique dépassé, nous descendons joyeusement la pente forte qui inaugure le trek.
À cette heure, nous sommes encore frais. Jean-Pierre s’accroche à son bâton pour éviter les glissades, car le terrain est vraiment boueux. Sarah est pleine d’entrain et peu à peu je vais avoir du mal à la suivre.
Enfin nous arrivons à une belle rivière, la Goldi River, qu’il va nous falloir traverser. On en a jusqu’à la taille. Ouf ça passe! Le temps de remettre les chaussettes et les chaussures devant l’œil amusé de notre guide qui ne prend pas ce mal, étant chaussé de simples claquettes.
Mais plutôt que le ranger, c'est l'un de nos chauffeurs qui s’improvise guide touristique, nous racontant tout ce qu’il sait sur la faune et flore autour de nous. Il prend le temps de décortiquer pour nous un fruit, sorte d’amende, qui va faire le plaisir de nos papilles.
Enfin, on arrive à un premier camp de base, Camp 66. C’est drôle, on ne se sent pas trop fatigué. Avec Sarah, on décide de continuer pour rejoindre le vrai point d’arrivée de la première étape, Imita base camp.
C’est une demi-heure tout au plus nous indique le ranger. Oui, enfin, à son rythme, lui qui galope devant nous. En fait, fait remarquer Jean-Pierre, ce n’est pas tant qu’il soit rapide, mais il est régulier. Aucune racine, aucune pierre ou branche qui se trouverait en travers de la route ne ralentit son ascension. Il avance. Même pas un œil pour ce qui l’entoure. C’est vrai qu’il est un habitué des lieux mais c'est aussi parce qu'il faut se rendre à l'évidence, il n’y a pas vraiment de vue.
La forêt que l’on traverse est dense et ne nous laisse pas le loisir même d’entrevoir la récompense que le marcheur attend en général, à savoir une vue panoramique. Cette ascension-là est avant tout un exploit sportif et un effort de la volonté.
C’est à ce moment-là que je pense au jeune soldat australien qui devait, lui aussi, bien peiner ayant sur le dos un chargement militaire et face à lui, des mitrailleuses japonaises toutes prêtes à le faucher, lui et ses camarades. Se remémorer cela me permet d’accepter le petit sacrifice de cette montée difficile.
Ça y est, nous y sommes enfin !
Le temps est venu de rentrer. La descente est costaud et l’un de mes ongles de pied s’en souvient encore. Nous retrouverons la rivière et cette fois, la baignade s’impose. Quelle fraîcheur! Dommage que la route ne vienne pas jusqu’ici. Il va falloir se rhabiller, remettre les chaussettes, complètement humides, et les chaussures et reprendre le chemin.
Encore une bonne heure avant le portique qui marquera la fin de notre trek d’un jour. Enfin, il est à porté de vue. Mais avant de le toucher, effort ultime, il faut grimper les derniers mètres. Rien n’est fait pour notre confort et rien ne nous sera épargné.
C’est une pente, presque un mur, qu’il nous faut escalader. Eh oui, les descentes du début sont les ascensions de la fin. On n’y coupe pas. Justement, j’ai les jambes coupées quand je passe enfin sous le portique.
Comme si je revenais de 7 jours de trek, je m’effondre au sol, de tout mon long.
À ce moment-là, je suis à mille lieux d'imaginer que dans quelques semaines, je prendrai la décision de faire le Kokoda Trail dans son intégralité.