Kokoda: bien plus qu'un trail!

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C’était en juin 2022, je terminais, exténué, une partie du Kokoda Trail. Les derniers mètres avaient été épuisants. Et pourtant quelques jours plus tard, je me promettais de réaliser l’intégralité du célèbre trek. Célèbre il l’est surtout pour les Australiens qui, dès le plus jeune âge, en connaissent l’existence. C’est ce dont nous allons nous apercevoir bientôt.

En effet, le moment est venu de s’embarquer pour ce voyage exceptionnel à travers le bush de l’Owen Stanley, la chaîne de montagne traversant l’île de Nouvelle-Guinée d’ouest en est. Un chemin périlleux nous attend d’une longueur totale de 96 kilomètres. Les locaux le parcours en 3 jours. On nous donne généreusement 7 jours. L’agence que j’ai contactée, australienne, a pu réunir 5 marcheurs dont je suis, avec mon collègue Thierry. Trois australiens complètent la cordée.

On nous a expliqué qu’un porteur nous sera attribué personnellement et que ce dernier nous accompagnera à chacun de nos mouvements sur le trail. Rassurant ou flippant, c’est au choix ! Nous verrons plus tard que leur compagnonnage était essentiel, pour le moins. Toujours est-il que pour l’instant nous sommes à Port Moresby, à l’aéroport de la compagnie Tropicair, et nous attendons patiemment de pouvoir embarquer.

C’est en effet après trois heures d’attente qu’est venu le moment de monter dans ce petit avion Cessna qui assure la liaison entre la capitale et le village de Kokoda, au cœur des montagnes. Le survol est l’occasion pour nos accompagnateurs papouasiens, très enthousiastes, de nous indiquer le village où demeure leur famille. On essaye plus ou moins de repérer, depuis le hublot, les étapes clés du parcours. Puis on se laisse aller en rêverie devant cette immensité verte de la forêt alluviale à perte de vue, ces collines au loin parées d’un léger voile nuageux qui nous deviendront bientôt familières.

Nous voici enfin arrivés à Kokoda. Une foule de curieux nous toisent à notre descente d’avion, puis rapidement les sacs sont déchargés et hissés sur nos épaules. Après une séquence -photos de notre fine équipe, nous entamons une petite marche. L’excitation est à son comble. Quel bonheur de faire ces premiers pas dans un univers entièrement nouveau… mais quelle chaleur !

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G-D: Aymeric, Joel, Todd, Chris (alias Scotty) et Thierry

Nous sommes conduits rapidement au mémorial du Kokoda Trail où nous allons prendre conscience de ce que ce chemin représente pour les Australiens et pour les Papouasiens. Ici et là sont exposés des artefacts, des photos et des témoignages qui ne laissent pas de doute sur le fait que le Papouasien fut un réel soutien de l’Australien venu ici pour sauver son pays de la menace nippone.

Une réelle camaraderie et un respect mutuel se sont instaurés entre les deux nations voisines pendant cette campagne du Kokoda Trail qui dura 4 mois de juillet à novembre 1942. En sortant de l’exposition, je retiens l'expression amusante de "Fuzzy Wuzzy angels" qui était le terme utilisé affectueusement par les Australiens au sujet de leurs camarades papouasiens qui s'étaient donné pour mission de veiller sur eux, avec une attention toute particulière, notamment lorsqu'ils étaient blessés.

Et justement, c’est le moment de rencontrer nos porteurs. Des jeunes gens de corpulence plutôt mince et de taille petite à moyenne. Ils sont pratiquement tous de la région et vivent dans l’un ou l’autre des villages situés le long du Trail.

On me présente Saï, âgé de 20 ans, ayant déjà parcouru 10 fois le tracé dans son intégralité avec cette agence. Cela ne compte pas toutes les fois où il emprunte le chemin pour ses propres besoins de déplacement… Bref, je suis littéralement entre de bonnes mains.

Chacun de nous ayant pu faire connaissance avec son accompagnateur, on se met maintenant en route car l’heure du départ est imminente. Je regarde ma montre qui indique 13h24. Se dresse devant nous le portique de départ (ou d’arrivée pour ceux qui parcourt le Trail dans l’autre sens !) et notre joie est grande de le franchir car nous savons désormais qu’il n’y a plus d’alternative : pour rentrer à la maison, il faut franchir la chaîne de montagne qui se dresse devant nous et se lancer sur la centaine de kilomètres nous séparant de Mo'sby (alia Port Moresby), sans regarder en arrière.

C’est bien, c’est tout à fait ce que je souhaite !

Une immense plantation de palmiers nous escorte à droite et à gauche sur cette première portion rectiligne du parcours. Ne nous y trompons pas, cela ne va pas durer. Bientôt l’escalade commence. Le chemin ne sera plus du tout droit, plat et sans obstacle. Il sera bien au contraire tordu, accidenté, pentu (dans un sens comme dans l’autre). Nous y sommes prêts. Chacun d’entre nous, au sein de la cordée, a pu se gorger de photos, de films, de témoignages et nous savons à peu près à quoi nous attendre.

Enfin, presque !

La journée est donc lancée. Sachant qu’il faut tenir sur le long terme, je ne me précipite pas et je prends un soin tout particulier à calibrer mes foulées (ni trop rapides, ni trop lentes, ni trop courtes, ni trop allongées). Ce n’est pas un sprint mais bien une course de fond et ce dont il faudra nous armer, en plus de l’endurance, c’est d’un mental solide prêt à affronter les difficultés du chemin, la fatigue, les blessures, la chaleur ou la pluie et la lassitude. Bon, à cette heure, nous n’en sommes pas là.

Nous arpentons les premiers kilomètres avec légèreté quand soudain, l’assurance donnant des ailes, je manque de glisser sur une pierre et faire ma première chute. Mais à ce moment-là, une force indéfinissable à cet instant me tire du faux-pas. Mon sac est soulevé en l’air au moment opportun et je suis retenu in extremis dans ma chute. Je n’ai pas besoin de me retourner pour savoir que c’était Saï qui était à la manœuvre. Et là, je me dis en moi-même, mais quel incroyable soutien nous avons ici. Je ne marche pas seul, loin s’en faut. Chacun de mes pas est observé avec attention. Mon porteur devient alors mon meilleur ami : présent, attentif, réconfortant même. Une réelle complicité va d’ailleurs s’établir entre nous tout au long du parcours. C’est d’ailleurs ce qui va se passer pour mes quatre camarades de cordée.

Après avoir franchi cette magnifique rivière dans un décor absolument bucolique où des jeunes enfants s’amusent à s’éclabousser alors que les mères lavent le linge en riant, et qu’au fond de la prairie, qui se présente à nous, se dressent des huttes entièrement végétales, couvertes de branches de palmiers, nous nous délestons de nos sacs et nous installons pour une première pause qui est la bienvenue. Des vendeuses opportunistes nous présentent sur un bout de tissu à même le sol des fruits (ananas, bananes) et même des canettes de soda contre un prix modique. J’avoue que ce n’est pas de refus.

Nous en profitons, chacun à notre tour, pour offrir un jus et un fruit à notre « ange gardien » individuel et trinquer avec lui à la réussite de ce défi qui nous attend.

On admire les papillons colorés aux grandes ailes bleus, les fleurs d’une beauté époustouflante et les plantes aux dimensions impressionnantes. Nous nous enfonçons maintenant dans la jungle et nous nous élevons peu à peu dans les hauteurs.

Quelques heures plus tard, alors que le soleil envoie ses derniers rayons du jour, Thomas, notre guide en chef nous indique le lieu du campement. Il est ici, sous nos yeux. Ah bon déjà ? Nous avons marché un peu plus de 10 kilomètres pour atteindre Deniki et je ne me sens pas du tout fatigué. Bon, je me reprends de discuter avec lui sur ce point. Il est plus prudent de se laisser conduire car la route est longue et je préfère laisser à nos accompagnateurs le soin de jauger nos fatigues et de décider des moments de pause et des lieux de campement. C’est d’ailleurs plus reposant de se laisser guider. Je vais me concentrer sur ma condition physique et mon moral ainsi que sur celles de mes camarades.

C’est maintenant au son des cicada (les cigales) que nous montons nos tentes. Après cette première journée, pendant laquelle nos corps ont beaucoup ruisselé, une petite douche s’impose. Ici, comme dans la plupart de nos lieux de campement, ce sera sous le flot continu et frais d’une cascade. Quel rafraîchissement et quel délice !

La faim se fait sentir alors nous nous installons dans ce mini réfectoire qui fait bien l’affaire. Un toit, deux bancs qui se font face et au milieu une longue table. Tout est en bois et fait de main d’homme. Ce sera comme cela sur tout le parcours. Chaque campement, installé judicieusement dans un cadre idyllique le long d’une rivière, est parsemé de huttes de tailles différentes ayant chacune son utilité : cuisine, salle à manger, dortoir. On n’hésite pas à allumer un feu dans ses huttes faites de bois et de branchages, que ce soit pour se réchauffer, sécher les affaires ou cuisiner. Je ne crois pas avoir jamais vu d’extincteur !

Alors qu’on nous sert une purée de pommes de terre et une gamelle d’eau chaude pour l’indispensable thé, cher à nos amis australiens, Thierry commence à froncer les sourcils et dis tout haut ce que tout le monde pense tout bas. « Dis donc, ça fait un peu léger tout de même ». Je suis bien d’accord avec lui et comme je suis d’un naturel assez impatient, je cours m’enquérir en cuisine de la suite du repas. J’aperçois des boîtes de corned-beef et les montre aux cuisiniers avec insistance. Je ne sais pas si elles étaient bien prévues pour ce soir mais qu'importe, je montre ostensiblement à mes interlocuteurs qu’il va falloir nous les servir. Après quelques minutes, c’est avec une grande satisfaction générale que nous voyons arriver le plat hautement protéiné tant attendu, réchauffé à la poêle. Cela se marrie bien avec la purée. Ouf, la satiété arrive enfin.

Le dîner achevé, nous nous lançons dans une partie de poker sous la férule de Teddy bien déterminé à nous rappeler les règles et les tactiques. Tout le monde joue le jeu jusqu’au moment où la fatigue a raison de nous et qu'il est temps de rendre les armes. Un rapide coup d’œil sur la montre qui indique 19h30. Ah oui ! Tient. Je ne crois pas m’être couché aussi tôt depuis bien longtemps. Dehors la nuit est complète, les étoiles brillent de mille feux. Quel spectacle splendide ! Je n’ai pas mes repères habituels pour décrypter ce ciel qui est celui de l’hémisphère sud. Exit la Grande et la Petite Ourse ou bien le W de Cassiopée. Ici je peux tout juste repérer la célèbre constellation de la Croix du Sud, si fameuse qu’elle se retrouve sur le drapeau de la Papouasie Nouvelle-Guinée, comme celui de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Je suis coupé dans ma rêverie par le bruit de zip de l’ouverture des tentes.

Chacun rentre maintenant dans son cocon pour un repos bien mérité. Malheureusement pour moi, le sommeil aura du mal à venir. Peut-être est-ce le changement de lieu, de rythme ou bien la disposition de mon matelas ? Suis-je assez fatigué ce soir ? Je ne sais pas trop. Quoiqu’il en soit, ce n’est pas le moment de tergiverser, il faudrait juste dormir. Est-ce qu’une insomnie la première nuit pourrait altérer ma randonnée ? C’est ce qui m’effraye pour l’heure. Heureusement, je vais vite m’apercevoir qu’il n’en sera rien et que les choses vont se mettre en place progressivement. Le corps va peu à peu s’habituer à ce traitement si particulier de la marche au long cours et aux horaires si peu habituels.

En effet, il est 4h50 quand on nous sort du sommeil par un « Gud pla morning » dit avec fermeté. Nous avons jusqu’à 5h30 pour défaire les tentes, les plier, faire notre paquetage puis nous rendre au petit-déjeuner servi jusqu’à 6h00 environ. C’est à cette heure (ou presque) que, chaque prochain jour, va démarrer la marche. Aujourd’hui, nous levons le camp à 6h30…

Isurava, une étape ô combien importante pour nos amis australiens. C'est en effet le lieu d'une bataille au cours de laquelle les forces australiennes ont joué un rôle crucial contre l'invasion japonaise. Elle a eu lieu du 26 août au 5 septembre 1942 et a été l'un des affrontements les plus féroces de la campagne de Kokoda. Isurava était un point clé sur la piste de Kokoda, une route de montagne escarpée qui traversait la jungle de Nouvelle-Guinée. La possession de cet emplacement était cruciale pour contrôler l'accès à la vallée de la Kumusi et à Port Moresby. Aujourd'hui, Ie Mémorial, lieu de recueillement et de réflexion sur les sacrifices et le courage des combattants, rend hommage aux soldats australiens et aux autres nations alliées qui ont combattu à cet endroit.

Nos australiens sont prêt à rendre hommage à leur grand-père et oncle qui ont combattu ici. Toddy et Joel arborent les médailles leur ayant appartenu alors que Scotty est invité à lire l'Ode of Remembrance, un poème à la mémoire des soldats tombés ici.

Puis, les hymnes australien et papouasien sont chantés et chacun à notre tour déposons une fleur sur le parterre de ciment circulaire qui nous fait face. Moment de dignité et de recueillement qui nous laisse, Thierry et moi, remplis d'admiration par le patriotisme de nos amis.

Enfin, les quatre mots inscrits sur les stèles entourant le lieu, Courage, Sacrifice Mateship (signifiant "fidélité fraternelle") et Endurance nous encourage à reprendre la route avec une vigueur renouvelée. Et nous allons en avoir besoin!

Devant nous s'étend une marche longue et épuisante, jalonnée de montées suivies de descentes interminables. Lors des ascensions, je déploie parfois d'énormes efforts pour surmonter des dénivelés de plus en plus importants. Les racines semblent s'amuser à nous barrer la route, et comme si cela ne suffisait pas, des rivières de boue dévalent les pentes, exigeant de nous des efforts considérables pour rester debout et poursuivre notre avancée.

Lors des descentes, la concentration est de mise, nous prenons notre temps et suivons les pas de notre prédécesseur pour éviter une chute malheureuse sur nos fesses. Parfois, il semble que la gravité elle-même soit défiée et nos pieds essaient alors de ne pas trop s'enfoncer dans la fine couche de boue, ce qui pourrait nous faire faire un vol plané.

Heureusement, nos précieux "anges gardiens" nous suivent de près, nous tenant fermement par le haut de notre sac. Combien de chutes ai-je ainsi évitées ? Beaucoup. Et c'est à ce moment que j'ai cette réflexion :

« Le Kokoda, ce sont des hommes solidement équipés avec des chaussures de montagne montantes portants des sacs de 10 kilos, aidés par des jeunes-hommes de 20 ans, portants quant à eux des sacs de 15 à 20 kilos et qui marchent en claquettes. »
— Moi-même

À un moment du chemin, Thomas nous invite à suivre un diverticule du Trail pour aller voir des artefacts retrouvés par les landowners (les propriétaire des terres) depuis la fin de la guerre et rassemblés à cet endroit. Munitions, casques, pièces d'artillerie en tout genre. Les origines sont multiples : japonaises, australiennes, américaines. Puis, au sommet d'une colline, nous découvrons des tunnels creusés par les Japonais. Ces trous, bien à l'abris, devaient pouvoir leur garantir une présence durable à cet endroit. Puis, il est temps de redescendre du promontoire et reprendre la piste. Ce soir nous campons à Diggers Camp. Ce terme argotique de Digger désigne les soldats de l'Anzac (Australie Nouvelle-Zélande) qui se firent une réputation de "creuseurs" en construisant en toute hâte des défenses dans la terre dure.

Comme si nous étions invités à vivre des conditions se rapprochant de celles de ces soldats émérites, la pluie se met à tomber et bientôt une immense averse nous submerge. Je suis bientôt coincé dans ma tente que j'ai heureusement eu le temps de monter avec Saï. Si je veux pouvoir me mettre quelque chose dans l'estomac, il va falloir me décider à sortir de mon abri de toile. Le dîner vite avalé, chacun retourne dans son refuge en espérant pouvoir fermer l'œil malgré le crépitement des gouttes de pluie tombants avec fracas sur la toile en plastique de nos tentes.

Le lendemain, après une ascension ardue (une de plus !), marquée notamment par la présence de litres et de litres de boue remplissant des creux que nous ne nous embêtons plus à enjamber inutilement, nous arrivons enfin au sommet. Le Mount Bellamy culmine à 2250 mètres et est le plus haut sommet que nous aurons à monter sur le Kokoda Trail. Bien que n'ayons pas de vue à admirer depuis cette hauteur (c'est souvent le cas sur ce chemin puisque tout est recouvert par la forêt primaire), nous saisissons l'occasion de prendre cette photo de groupe.

Arrivés de l'autre coté, on nous indique du doigt, Port Moresby. Je veux bien les croire mais nous avons encore 4 jours de marche donc la destination est encore bien loin. Heureusement, à ce moment, la descente est facile et nous parvenons finalement à sortir un peu de la forêt. La voie est maintenant dégagée et nous arrivons à un magnifique point de vue sur la vallée. Nous nous régalons de cette vue à 360°, pas si fréquente.

Efogi 1, Efogi 2, Brigade Hill, Manari, autant de magnifiques villages que nous traversons avec le sourire au visage. Nous savons le privilège qui est le nôtre de pouvoir nous retrouver ici, au cœur du bush, dans des lieux si loin de l'agitation des villes et à des années-lumière de notre civilisation occidentale. Les enfants, autant que leurs parents, célèbrent notre arrivée et s'il nous prend de sortir des ballons de baudruches, des balles en plastiques, des crayons de couleurs ou des cahiers de coloriage, nous sommes alors assaillis par des hordes de gosses. Tous nos stocks disparaissent rapidement et une joie immense se lit sur les visages.

En sortant du dernier village, qui est celui de notre guide Thomas et de mon fidèle compagnon Saï, je prends le temps d'admirer les plantations de patates douces et d'ananas, les jardins luxuriants et les fleurs somptueuses qui ont l'air de nous rendre hommage pour notre visite.

Là, il faut que je vous parle de Toddy, l'un de nos compagnons australiens. Marié et père, la quarantaine tout juste, vivant à Sydney. Cet entraîneur de rugby pour des jeunes garçons de l'âge de son fils est un boute-en-train, débitant, avec son accent Aussie bien marqué, des blagues à longueur de journée de sa voix forte qui permet à tous d'en profiter. Joel, son bon ami, que nos porteurs ont surnommé Big pla mangi (expression en Pidgin signifiant quelqu'un qui a un gros appétit, "gros mangeur") souffre physiquement beaucoup tout au long du chemin. Pourtant, cela ne l'empêche pas de répondre aux blagues de son compère sur un ton tout aussi comique et avec des expressions fleurant bon la cool attitude australienne. Et les entendre parler est un vrai régal, même si j'avoue ne pas bien tout comprendre...

Quand nous quittons le village, et à plusieurs autres reprises d'ailleurs, notre Toddy lance, d’une voix qui porte, son cri d'encouragement, caractéristique des entraîneurs sportifs: “Give me a "T". Et nous de répondre en chœur, en anglais: "T", lui de reprendre “Gi’ me a "H"... et ainsi de suite jusqu'à former le mot Thomas que, tous ensemble, nous scandons en deux syllabes bien marquées et à grand renfort de testostérone : Tho-mas, Tho-mas, Tho-masCela finit dans un grand éclat de rire général.

Puis, notre guide, amusé mais toujours aussi déterminé, reprend la marche en tête du peloton.

La nuit sera bonne. Mais au réveil, ce sont des cataractes qui s'abattent sur nous. Encore! Tous, nous sommes bloqués dans nos tentes respectives et tentons, par des contorsions désagréables, de faire nos sacs à l'abri. N'ayant pas prévu un tel déluge, j'avais mis la veille mes vêtements, prévus pour le lendemain, à sécher dehors. Elles étaient un peu humides la veille, elles sont maintenant totalement trempées. Plus de pantalon, plus de short, plus de tee-shirt! Thierry me prête un short et je garde mon tee-shirt de la nuit sur lequel j'enfile un imperméable (mais le tee-shirt thermique à manches longues n'est vraiment pas fait pour la marche!) et je transpire à toute force. En clair, je suis mouillé à l'intérieur comme à l'extérieur. Malgré la pluie incessante, ni une ni deux, je décide de me débarrasser de mes couches et continu torse-nu. L'averse ne s'arrête pas. Une pluie tropicale, intense, abondante avec des grosses gouttes tombantes sur nous comme des lances. La marche, à ce moment-là, est vraiment éprouvante. Rien à regarder autour de soi, juste se concentrer sur la marche et avancer, avancer. Je ne réfléchis plus, ne pense même plus. J'essaye juste de ne pas tomber dans la boue, de ne pas glisser sur une pierre ruisselante. Je compte aussi beaucoup sur mon cher Saï, toujours là derrière moi, scrutant chacun de mes pas.

Et finalement la pluie cesse... mais seulement un court instant. La douche reprend de plus belle. Mais cela ne finira donc jamais!

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Au lieu du déjeuner, j'en profite pour prendre d'assaut le feu de bois qui réchauffe notre repas. J'y fais sécher tout ce que je peux. Je peux alors remettre une chemise, enfiler de nouvelles chaussettes (miraculeusement sèches) et la marche reprend.

Quand nous nous arrêtons, vers le milieu de l'après-midi, c'est pour découvrir à nos pieds et en contrebas de la pente une quantité incroyable de douilles datant bien évidemment de cette campagne du Kokoda qui se rappelle à notre bon souvenir, ici encore. Toddy, Joel et Scotty se prennent en photo avec les douilles en main. Notre guide historien, spécialiste de la période, en profite une nouvelle fois pour nous donner des détails précis sur le combat qui a eu lieu à l'endroit où nous sommes.

La marche reprend et nous arrivons bientôt au dernier village de notre pérégrination, Ioribaiwa.

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Nous savons que bientôt le Trail sera terminé alors nous profitons de ce splendide coucher de soleil pour nous prendre en photo devant le dernier pic de notre itinéraire, Imita Ridge, que nous pouvons contempler depuis notre campement.

Après Imita, c'est la descente directe jusqu'à Owers Corner et son portail emblématique en dessous duquel nous ferons notre dernier pas de ces presque 100 kilomètres de piste.

Le lendemain en effet, nous descendons pour atteindre Uaule Creek et ses multiples cours d'eau que nous traversons les chaussures à la main. Après un certain temps, la plupart d'entre nous décidons de garder nos chaussures de marche aux pieds et de traverser les rivières avec. Après tout, nous arrivons en milieu de matinée à notre destination finale. Ce soir, nous dormirons au sec et demain, les chaussures auront tout le temps de sécher... puisque nous ne les porterons plus!

Nous avons des ailes quand il s'agit de monter Imita Ridge car nous savons que le but est maintenant à portée de main, enfin, de pied.

C'est ici que j'étais arrivé en juin 2022, lorsque j'avais entrepris avec deux collègues la première étape du Kokoda Trail (depuis Owers Corner). J'en profite pour faire une photo avec Scotty, à l'endroit précis où je posais naguère avec Sarah (cf. lire article Le Kokoda track: la "voie sacrée")

Au sommet, enfin atteint, Joel apprend qu'il est devenu oncle. Sa belle-sœur vient de donner naissance à un petit Joseph. C'est clair que cette nouvelle va bien l'aider à parcourir les derniers mètres. Je me sens aussi très à l'aise sur ce dernier tronçon car le décor me paraît familier à mesure que l'on avance.

Enfin, nous arrivons à Goldi river. Une baignade s'impose. Et c'est avec interrogation que nous voyons nos accompagnateurs s'affairer autour d'un barbecue. Oui, toute cette viande de poulet, ses chips et ses sodas sont pour nous. Quelle bonne surprise !

Enfin, nous repartons rassasiés, voire un peu lourd, dans la bonne humeur et pour moi particulièrement dans l'excitation de retrouver ma famille. Je sais que je vais revoir Marie-Alix, Etienne et Adèle et cette pensée me réjouit. J'imagine mes deux petits amours courir à ma rencontre sur le chemin qui descend depuis le portique d'arrivée.

Bientôt la prairie à la verticale qui marque vraiment la dernière ligne droite. Le chemin se termine par une montée interminable qui nous donne la sensation de tout donner jusqu'à la fin. Vraiment, rien ne nous sera épargné !

Et soudain, ça y est, mon Etienne apparaît et court à ma rencontre. Puis Adèle le suit de très près. Je suis comblé et je les serre tous les deux longtemps contre moi avant de lever la tête et d'apercevoir ma bien-aimée. Je me redresse alors et rejoins ma cordée qui m'a gentiment attendu peu avant le portique pour que, tous ensemble, nous puissions le franchir. C'est chose faite maintenant.

Nous sommes épuisés mais à cette heure, je ne ressens aucune fatigue. Les photos fusent de partout. Marie-Alix nous distribue des bières et Adèle joue avec le bâton qui m'a été d'une grande aide tout au long du chemin.

Et voilà donc, après 7 jours de marche à un rythme intense, que s'achève notre Kokoda Trail qui va nous laisser pour chacun de nous des souvenirs impérissables.

« Les seules limites sont celles que l’on se donne. »
— Laurent Gounelle
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